Les enjeux de la reconstruction irakienne
La reconstruction de l’Irak est un sujet qui préoccupe les esprits depuis le lendemain de la prise de Bagdad par la coalition dirigée par les États-Unis en 2003. La récente proclamation de la victoire sur Daech par les responsables politiques irakiens met une fois de plus la question en avant. Si l’urgence de la situation humanitaire n’est remise en cause par personne, avec de grands centres urbains comme Mossoul, ancien bastion de Daech, détruits à 70% ; l’effort de reconstruction est plus que jamais une priorité. L’Organisation des Nations Unies estime que si de grands efforts ne sont pas rapidement fournis, des régions entières de l’Irak pourraient retomber dans des logiques insurrectionnelles.
Quelques chiffres
La guerre a laissé les infrastructures du pays en piteux état, malgré le fait que certaines infrastructures pétrolières ont bénéficié de nombreux investissements depuis 2003, ne laissant pas l’Irak totalement démuni. Néanmoins, le ministre des Affaires étrangères irakien, Ibrahim Al Jaafari, estime les besoins du pays à 88,2 milliards de dollars sur dix ans, dont 22 pour les besoins immédiats.
La conférence internationale sur la reconstruction de l’Irak, tenue le mois dernier au Koweït, a permis de lever 30 milliards de dollars. Ce montant dépasse les prévisions les plus pessimistes et permet, selon Lise Grande, représentante de l’ONU dans le pays, de « commencer le chantier ». La Turquie a notamment créé la surprise au cours de la conférence en promettant un crédit de 5 milliards de dollars, soit cinq fois plus que le Royaume Uni – qui avait pourtant envahi le pays en 2003. L’Union Européenne n’a promis, quant à elle, que 400 millions d’euros, soit moins que la banque Import Export américaine, qui octroie de son côté 3 milliards de dollars.
Bien que ces chiffres ne soient pas suffisants pour assurer la reconstruction rapide de l’Irak, ils restent néanmoins encourageants : en effet, la crainte majeure concernait la réticence des bailleurs de fonds internationaux à l’idée de réinvestir dans un pays toujours en proie à des crises successives depuis sa guerre contre l’Iran.
Des enjeux sécuritaires
En effet, les questions de sécurité demeurent un problème majeur, limitant les investissements massifs dont l’Irak a désespérément besoin. L’État islamique avait occupé 40 villes dans le pays. Aujourd’hui, 15 d’entre elles sont toujours considérées comme instables, à l’image des provinces de Ninive ou de Tamim, fortement déconseillées par le gouvernement français. De plus, la récente offensive turque contre les kurdes de Syrie a abouti à la fermeture des aéroports du Kurdistan irakien tandis que des bombardements turcs ont été observés sur la frontière. De même, des attaques terroristes, rapportées le 12 Mars dernier, font état de 25 morts dans le nord du pays.
A Mossoul, la tension demeure forte malgré l’annonce de haut gradés irakiens qui indiquent que tous les djihadistes de la région ont été neutralisés. Le reporter Fabrice de Pierrebourg conteste cette vision trop optimiste et estime que des combattants y sont toujours présents, bien que traqués, notamment par la population locale.
Des enjeux économiques
La corruption endémique, reconnue par le premier ministre irakien, Haïder Al Abadi, demeure un autre frein majeur aux investissements. Lors de la conférence à Koweït City, son gouvernement a présenté son plan pour le développement économique et une série de réformes destinées à créer un environnement propice aux affaires. Ce plan semble avoir reçu un retour favorable de la part des représentants du secteur privé présents.
En effet, malgré certaines tensions, la reconstruction représente un marché juteux pour de nombreuses entreprises. Le plan du gouvernement à l’horizon 2030 ne se contente pas de favoriser l’industrie des hydrocarbures mais, suite aux conseils de diverses agences onusiennes, il cherche également à développer une économie plus moderne et plus diversifiée. L’UNESCO a de plus annoncé une initiative visant à restaurer le magnifique patrimoine historique irakien. Cette restauration, en plus d’avoir l’avantage de sauvegarder des trésors culturels irremplaçables pour la recherche, pourrait permettre de développer une industrie du tourisme dans cette région du monde trop souvent négligée, suscitant des revenus annexes aux revenus pétroliers.
Des enjeux géopolitiques
La guerre en Irak, tout comme la guerre en Syrie, a également constitué une guerre d’influence entre les grandes puissances. Pour reprendre la théorie formulée par Zbigniew Brzezinski dans Le Grand Échiquier : un pays qui souhaite s’imposer comme la première puissance mondiale doit contrôler le continent Eurasiatique. L’auteur décrit donc ce continent comme un grand échiquier, où les « joueurs » déplacent leurs pions dans une perpétuelle compétition inter-étatique. Celle-ci s’est matérialisée en Irak où les États-Unis comme la Russie se sont affrontés par procuration. Les Russes ont soutenu Bachar Al Assad, espérant conserver voire renforcer un ancrage au Moyen Orient, tandis que les Etats Unis ont cherché à contrer leur influence sur le terrain, en soutenant notamment les Kurdes et d’autres rebelles. L’Iran et l’Arabie Saoudite se livrent également à une compétition pour imposer un leadership régional. Si en Syrie, la victoire semble acquise aux Russes et aux Iraniens, la situation en Irak est toujours sujette à convoitises.
En effet, l’Iraq semblait acquis aux Iraniens, proches des Russes, en raison de plusieurs facteurs : sa proximité géographique, les milices locales que la République islamique y entretient, la coopération militaire dans le cadre de la lutte contre Daech, et le fait qu’il s’agisse de deux nations chiites. Le poids et l’influence iranienne chez son voisin chiite a été tel que les observateurs politiques considèrent Téhéran comme l’organe politique de référence en Irak. Face à cette situation, l’Arabie Saoudite et les Émirats Arabes Unis, unis dans leur aversion iranienne, ont promis 2 milliards de dollars à l’Irak, espérant probablement racheter une influence perdue dans ce pays. Avant sa chute, l’Irak était la grande puissance de la région. Le calcul semble clair : qui contrôle la reconstruction du pays contrôlera le leadership régional. Il est à noter que le Qatar, en froid avec les autres puissances sunnites de la région, a promis 1 milliard de dollars.
Il est manifeste que cette compétition géopolitique complique une situation locale déjà difficile. Ces grandes puissances étrangères, sous couvert d’aider la population irakienne, jouent à un jeu dangereux qui risque de délégitimer une aide pourtant vitale pour les populations locales.
De la nécessité d’investir en Irak
Malgré les freins préalablement décrits, il semble important voire nécessaire que la France fasse d’avantage d’efforts pour améliorer la situation en Irak, ce pour trois raisons.
La première raison concerne la sécurité intérieure française. Faire en sorte que l’Irak soit un pays prospère et stable est la meilleure arme à notre disposition contre le terrorisme. La fin de la guerre, synonyme d’une plus grande stabilité, ne peut être achevée uniquement par les armes mais bien par la coopération. Il faut assurer la reconstruction de l’Irak, et la mise en place d’espaces de coopération autour du Golfe, tant avec l’Iran qu’avec les autres puissances arabes.
La deuxième raison touche à l’énorme potentiel du marché irakien. Rendre à l’Irak sa prospérité pourra créer les conditions dans lesquelles les produits et le savoir faire français pourront s’y vendre. La prospérité d’un des plus grands pays arabes peut ainsi contribuer à la prospérité française.
La dernière porte enfin sur le domaine des idées et du rayonnement. La France avait gagné le respect du monde arabe suite au discours de Dominique de Villepin de 2003, symbolisant une alternative à l’hégémonie américaine. C’est cette troisième voie que peut incarner la France aujourd’hui. Contre le néo-conservatisme des États-Unis et face aux régimes autoritaires russes et chinois, la France pourrait ainsi enrayer la « Grande Désillusion » brillamment décrite par Amin Maalouf en référence au cynisme des gouvernements occidentaux qui se servent des valeurs des droits de l’Homme pour justifier leurs velléités économiques, faignant d’oublier que « nul n’aime les prêcheurs armés ».